Des caribous au pays du couscous

Maroc, régime hybride

                                                          
 
            
                                               
 
Les consultations électorales, dans ces Etats en profonde mutation, servent avant tout de baromètre de l’islamisme.
Par Khadija Mohsen Finan, chargée de recherche à l’Ifri, et Malika Zeghal, professeur Associée à l’Université de Chicago
QUOTIDIEN : jeudi 27 septembre 2007
 
Comment les islamistes gouverneront une fois au pouvoir ? Au Maroc, la question semblait jusqu’ici pertinente puisque le Parti de la justice et du développement, qui se dit «à référence islamique» et se compare aux démocrates-chrétiens, partait favori pour les élections législatives du 7 septembre dernier.
Mais le grand parti islamiste reconnu n’a pas réalisé le score qu’il espérait et n’a pas doublé le nombre de ses sièges au Parlement. Il est simplement passé de 42 à 46 sièges, se manifestant comme le deuxième parti marocain après l’Istiqlal, vieux parti nationaliste et conservateur, qui sort gagnant de ce scrutin avec 52 sièges. Pour le PJD, qui s’est imposé dans l’espace politique marocain en une décennie, le revers est difficile à vivre. Ses cadres pensaient qu’ils avaient eu un parcours sans fautes, ayant même réussi à se fondre dans le paysage politique après la mise à l’index de leur formation politique après les attentats de 2003. Depuis, ils n’ont eu de cesse de donner des gages de bonne conduite à la monarchie, en révisant leur position sur nombre de dossiers. Ce compromis a été mal vécu par une partie de son électorat qui a pu voir dans cette proximité avec le Palais une forme de reniement de sa propre identité et de sa vocation à être d’abord une formation du refus. Par ailleurs, le redécoupage des circonscriptions lui a certainement été préjudiciable, mais n’explique que partiellement la perte d’une partie de son électorat.
Certains électeurs ont pu juger cette consultation sans enjeu majeur compte tenu du rôle négligeable joué par le Parlement dans le système politique marocain. La libéralisation politique, décrite par le pouvoir comme une «modernisation», est donc savamment dosée et orchestrée. Cette évolution est révélatrice de l’état actuel des systèmes politiques arabes. Là, contrairement au modèle turc, les élites au pouvoir ne sont pas prêtes à partager la gestion des affaires politiques avec un parti d’opposition hégémonique. Ces régimes ne se sont certainement pas démocratisés, mais ils se sont toutefois profondément transformés, et sont devenus des régimes hybrides dont le Maroc est la parfaite illustration. On y trouve de grandes avancées en matière de transparence et une véritable compétition électorale, prise très au sérieux par les partis et leurs activistes. Cependant, les résultats de cette compétition politique ne sont pas totalement pris en compte pour former un gouvernement et pour définir les politiques publiques. Les élections servent plutôt de «baromètre» de la vie politique, et informent l’ensemble de la classe politique sur l’état de l’opinion. Cette hybridité entre pluralisme et transparence, d’un côté, et gouvernement autoritaire, de l’autre, produit une contradiction visible dans l’espace public marocain : la transparence du jeu politique et la pluralité des partis en compétition créent des espoirs de participation aux affaires du gouvernement, espoirs ensuite contredits par la réalité d’un régime qui reste en dernier ressort autoritaire. Ces régimes offrent ainsi une vitrine démocratique mais continuent de fonctionner à peu près comme par le passé. Les élections, aussi transparentes soient-elles, ne sont pas suffisantes pour qu’une démocratie fonctionne. Il faudrait aussi produire un consensus sur les règles du jeu. Une partie de l’opposition légale ou illégale, critiquant les règles du jeu, a ainsi contribué, par ses appels au boycott, à un taux de participation très bas. Mais ce que montre aussi ce scrutin, c’est que les partis politiques, y compris le PJD, devront quant à eux redoubler d’efforts dans la mobilisation des électeurs. Plutôt que de décider comment il va gouverner, le PJD va devoir choisir s’il veut rester dans l’opposition et comment il va communiquer avec ses concurrents pour éventuellement construire des alliances. Pour l’instant, le régime marocain semble se stabiliser autour d’une solution hybride qui n’enchante guère les Marocains, mais ne les mobilise pas non plus contre les choix de la monarchie. Cet équilibre apporte aussi une stabilité politique combinée à une vitrine démocratique qui arrange les alliés européens et américains du Maroc.


28/09/2007
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