Des caribous au pays du couscous

Le rapport qui dérange

A quelques mois des élections législatives, le champ politique marocain offre un paysage à la fois spécifique et complexe mais qui ne cesse d'intriguer chercheurs et observateurs. L'initiative de DRI (Democracy reporting international, un des organismes internationaux les plus crédibles en matière de consulting politique), en collaboration avec Transparency Maroc, entre dans ce cadre. Elle vise à établir une sorte d'état des lieux avant le rendez-vous électoral de 2007, à travers un travail d'enquête effectué par des consultants en systèmes électoraux.

Leurs conclusions sont frappantes parce qu'elles sont précises et très nuancées et rendent compte de la réalité des rapports entre les acteurs politiques marocains. Mais, il faut d'abord préciser que le travail qui vient d'être publié par les deux ONG est surtout défini comme une «évaluation du cadre pour l'organisation des élections» (comme le souligne l'intitulé même du document).

Selon les auteurs de ce rapport, ce «cadre» est marqué par une réalité problématique: «un libéralisme réel, mais [une] gouvernance démocratique sous tutelle». Les «couleurs» sont ainsi annoncées. De quelle tutelle s'agit-il alors? Celle d'une monarchie qui n'est pas constitutionnelle (comme le stipule la Constitution marocaine) mais «une monarchie exécutive», lit-on dans le texte élaboré par les deux ONG. «De fait, le roi joue un rôle clé-il gouverne plus qu'il ne règne- en présidant le Conseil des ministres, en nommant le gouvernement, en maintenant la pratique tacite voulant qu'il décide des personnalités titulaires des ministères dits de "souveraineté" : Intérieur, Affaires étrangères et Affaires religieuses- lesquels échappent donc à la distribution des portefeuilles entre partis représentés au gouvernement», note ce rapport. Des aspects très significatifs du fonctionnement du système politique marocain sont, par ailleurs, analysés par les consultants qui ont élaboré ce document «d'évaluation». Exemple, les partis. D'abord, un premier constat est établi selon lequel les partis marocains sont faibles et sclérosés: «L'absence, de tradition parlementaire comme la concentration historique des pouvoirs au niveau de l'Exécutif ont contribué à décrédibiliser un édifice partisan dont les racines remontent à la période précédant l'Indépendance. Les partis apparaissent généralement comme sclérosés et faiblement organisés ... Leur capital de confiance au sein de la population paraît faible». Ensuite, au-delà de ce constat, le document explique les raisons de cette réalité partisane. En d'autres termes, pourquoi les partis sont-ils faibles, ou plus précisément, pourquoi sont-ils «affaiblis» ? Mais encore: pourquoi ne disposent-ils pas de crédibilité auprès des citoyens? Le rapport apporte des réponses assez originales : «En effet, le roi et l'Exécutif dominent le paysage politique et tendent à attirer les talents politiques comme à coopter les opposants potentiels, contribuant de la sorte à vider l'espace partisan de sa signification et à le transformer en un système en vase clos, pratiquement irrecevable du point de vue de l'efficacité parlementaire. De ce point de vue, le Maroc paie aussi le prix d'une longue histoire de limitations opposées à l'action partisane, de fractionnement et de scissions au sein des partis, encouragées par le Palais afin de contrarier une opposition forte». Qu'en est-il du PJD, maintenant, ce parti considéré comme un phénomène partisan marquant de « l'après septembre 2002» ? Constitue-t-il réellement une menace pour le régime alaouite ? Là aussi, les «évaluations» de DRI et de Transparency apportent des éléments de réponse précis: «Depuis les élections législatives de 2002, le PJD constitue la principale formation d'opposition, et ce malgré une participation aux élections dans seulement 57 des 91 circonscriptions électorales du pays».

L'intérêt du travail effectué par DRI et Transparency Maroc vient aussi du fait qu'il inscrit son «évaluation» dans une «dynamique» qui n'a pas commencé en 1999, avec l'intronisation de l'actuel roi. Il insiste, notamment, sur le rôle du roi Hassan II dans cette «ouverture», en dépit des innombrables limites qui l'ont caractérisée: «Bien que la libéralisation, amorcée sous le règne de feu le roi ce genre de réactions, dès lors qu'elle met en avant l'importance du PJD en particulier et du courant islamiste en général. L'évaluation des forces partisanes au Maroc serait-elle en train de s'ériger en tabou, en ligne rouge qui s'ajoute à «la monarchie», à la «religion islamique» et à l'affaire du Sahara occidental?

Mais il serait injuste d'occulter la seconde partie du rapport dont le contenu est tout aussi prolifique, car elle porte sur les enjeux électoraux. A ce niveau aussi, le lien avec le passé récent du Maroc est bien établi: «Dans le passé, l'administration a massivement pesé sur le processus électoral. En conséquence, un soupçon de partialité continue d'affecter le ministère de l'Intérieur, les gouverneurs et leurs subordonnés». Mais si les «consultants» de DRI reconnaissent une évolution positive au niveau de la transparence des scrutins, ils en relativisent toutefois la portée: «Les rapports des observateurs nationaux indépendants soulignent la persistance de certains problèmes, en particulier en ce qui concerne l'opacité de la procédure d'agrégation et de publication des résultats. A ce jour, il n'existe d'ailleurs toujours pas de chiffres détaillés officiels relatifs aux élections de 2002».

La situation des médias, à la veille des élections, n'a pas non plus échappé à l'évaluation de DRI et de Transparency Maroc: «Hormis la question du Sahara occidental et certains aspects du rôle et de l'action de la monarchie (l'article 41 du Code de la presse punit d'emprisonnement et d'amendes les offenses envers le roi, les princes et princesses royaux ainsi que les atteintes "à la religion islamique, au régime monarchique ou à l'intégrité territoriale", il n'existe pas de sujets que la presse ne soit en mesure de traiter. Par contre, la sensibilité du régime sur les deux sujets précités demeure vive. Ainsi, Le Journal Hebdomadaire et un de ses journalistes ont été condamnés, en février 2006, à une amende sévère suite à la publication d'un article en relation avec la question du Sahara. De nombreux commentateurs, à commencer par les principaux intéressés, ont été surpris de la sévérité de la peine».

Enfin, l'intérêt de cette «évaluation», qui dresse un état des lieux assez précis de la réalité politique et institutionnelle au Maroc, avec toute sa complexité et ses nuances, est d'autant plus évident qu'une série de recommandations ont été prévues, ce qui en fait un travail enrichissant et, au moins, utile.

Le Journal, 02/02/07



05/02/2007
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