Par Mehdi Michbal
Tomate. Spéculation à toutes les sauces
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En quelques mois, le prix de la tomate a quasiment été multiplié par 10. (DR)
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A 20 DH le kilo, le prix de la tomate défraye la chronique. Le sujet est sur toutes les lèvres, mais personne ne s’explique une telle flambée des prix. Décryptage.
“C’est incroyable”. “Juste scandaleux”. “La tomate plus chère que le poulet… Du jamais vu !”. “On est entré en crise ou quoi ?”. Telles sont les réactions que l’on peut entendre dans la rue face à ce que l’on appelle désormais le “phénomène maticha”. Ce légume qui accompagne pratiquement tous les plats des Marocains, toutes franges sociales |
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confondues. Et dont le prix connaît depuis plusieurs semaines une flambée sans précédent. Fluctuant aujourd’hui entre 15 et 20 DH le kilo, le prix de la tomate n’avait jamais dépassé les 10 DH, dans le pire des cas. Il y a quelques mois encore, le kilo de tomates se vendait à 2 DH seulement. Un prix normal pour un pays comme le Maroc, grand producteur (et exportateur) de tomate. Ce n’est pourtant pas l’eau qui a manqué cet hiver. Fin mars, le cumul pluviométrique a atteint un volume record de 566 millimètres, soit une hausse de 88% par rapport à la normale (300 mm). Selon le ministère de l’Agriculture, les barrages à usage agricole sont remplis à hauteur de 95%. De quoi assurer une bonne saison agricole. “C’est à n’y rien comprendre. La tomate n’a jamais atteint ce prix, même pendant les dures années de sécheresse”, tonne ce gérant d’une superette. “Vous savez, ce sont les Européens qui nous privent de notre tomate… avec la caution du gouvernement marocain. C’est scandaleux”, martèle ce père de famille qui croit dur comme fer à la théorie du complot, s’appuyant sur des bribes de discussions pêchées ici et là. Mais si le prix de la tomate est arrivé à ce niveau, c’est qu’il y a bien des raisons économiques.
L’attaque Tuta Absoluta Abderrazak Mouisset, président de l’Apefel (Association des producteurs et exportateurs des fruits et légumes), explique ce phénomène par la loi de l’offre et de la demande. Selon lui, la production marocaine a connu une baisse drastique suite à la maladie Tuta Absoluta (lire encadré). Un virus qui a ravagé l’ensemble de la région du Souss, principal producteur de tomate au Maroc. “Les intempéries ayant sévi dans le Souss Massa au cours des mois de janvier et février ont augmenté l’humidité dans les serres, ce qui a favorisé la propagation de la maladie”, précise le primeuriste en chef. Sans compter les inondations qui, selon cet autre professionnel du secteur, ont compliqué l’accès aux champs de productions, quand elles ne les ont pas détruits complètement. Mais ce n’est pas tout. Malgré cette pénurie au niveau de l’offre, le prix actuel de la tomate reste insensé, si l’on en croit les différents producteurs interrogés. Ces derniers vendent en effet la tomate à 2,5 DH le kilo seulement. La même tomate que le consommateur achète aujourd’hui entre 15 et 20 DH ! C’est qu’entre le producteur et le consommateur, c’est tout un business qui se développe : celui des intermédiaires. Leur méthode : la spéculation tous azimuts. “Les gens croient que les producteurs se sont enrichis. Ce sont plutôt les intermédiaires qui font et défont le marché… sans qu’ils soient inquiétés par les autorités publiques”, clame Mouisset.
L’Europe d’abord Faut-il donc écarter la responsabilité des producteurs ? Pas si sûr. Car tout acte de spéculation naît de la rareté. Et les producteurs n’y sont pas pour rien. “Les producteurs privilégient l’export par rapport au marché local. C’est ce qui aggrave la pénurie de tomate”, nous confie ce professionnel du secteur. Un fait que le président de l’association des producteurs de fruits et légumes ne nie pas : “Nous sommes liés à nos clients européens par des contrats. Et nous avons des parts de marché à défendre. Nous ne pouvons pas nous amuser à fermer les robinets comme bon nous semble. Nos concurrents turcs et israéliens nous attendent au tournant”. Le raisonnement se tient. Surtout que les conditions de prix à l’export sont beaucoup plus avantageuses que sur le marché local, la tomate étant vendue à 6 DH au client européen, contre 2,5 DH au mieux sur le marché local. “Mettez-vous à la place du producteur qui a une structure très lourde en charges (machines, investissements, parts de marché à défendre…)”, argumente Mouisset. La position des producteurs est donc défendable, logique de marché oblige. Comment alors assurer l’équilibre ? “La seule solution serait d’accroître l’offre sur le marché local par le développement de nouveaux bassins de production”, assure cet économiste. Et c’est là où l’Etat doit entrer en jeu. “Aujourd’hui, l’essentiel de la production de tomate est localisé au niveau de la région Sous Massa Draa, tournée majoritairement vers l’export. L’Etat doit donc encourager l’avènement de nouvelles zones de production. La régulation du marché incombe à l’Etat, pas aux producteurs”, affirme le président de l’Apefel.
Ramadan sans harira ? En attendant, le prix de la tomate ne risque pas de baisser de sitôt. Et le mois de ramadan (août), pic de consommation de la tomate, pourrait, selon Mouisset, connaître une pénurie encore plus grave. Une inquiétude que le gouvernement ne cache pas. Un rapport de la direction de la stratégie et des statistiques du ministère de l’Agriculture affirme que “les incertitudes sur les prix persistent en raison de la menace Tuta Absoluta qui plane toujours sur les champs de tomate. Et ce, malgré l’entrée prochaine sur le marché, vers la deuxième quinzaine d’avril, d’une nouvelle vague de production issue des champs ressemés après les intempéries du Souss”. Seul espoir en vue : la bonne tenue de la production européenne. En effet, si les productions espagnole, française ou hollandaise sont bonnes, les importations européennes à partir du Maroc bénéficieront d’une baisse sensible. Idem pour les prix à l’export. Chose qui, selon Mouisset, “obligera les primeuristes marocains à écouler leur production sur le marché local”. C’est donc comme à la Bourse. Rien n’est sûr. Et tout dépend des arbitrages des uns et des autres. Livré à son sort, le consommateur, lui, reste tiraillé entre les calculs des producteurs et les appétits des intermédiaires. Le tout dans un contexte d’inertie des pouvoirs publics. Libéralisme, quand tu nous tiens ! |
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Menace. La mouche espagnole C’est la plus grande menace que le Maroc agricole ait jamais connue. La Tuta Absoluta, puisque c’est de cela qu’il s’agit, est une maladie portée par un insecte baptisé la mouche espagnole. Signalée en 2008 dans la région de l’oriental (Nador et Oujda), arrivant d’Espagne, la Tuta Absoluta a fini par gagner la région du Souss, capitale de la tomate. Un terrain propice pour une mouche qui se nourrit principalement de tomate et accessoirement de pomme de terre. Pour la combattre, les producteurs marocains ont tout essayé : remèdes chimiques, solutions biologiques… en vain. Cette mouche déploie en effet une méthode de commando. De couleur gris argenté, la Tuta Absoluta est invisible à l’œil nu et se dissimule pendant la journée pour attaquer la nuit. La combattre est une mission presque impossible. “C’est un virus dévastateur, qui se développe d’une manière terrible. Les solutions essayées aujourd’hui ne donnent pas de résultats. Mais nous sommes sûrs que nous allons l’éradiquer d’ici peu”, explique Abderrazak Mouisset, président de l’association des producteurs et exportateurs des fruits et légumes. | | |