Par Réda Allali
Environnement. Le fléau "Mika kahla"
Chaque année, les Marocains consomment 1,5 milliard de sacs en plastique qui, avant de se décomposer, auront tout le temps de nuire à l’environnement. Un début de prise de conscience et quelques solutions alternatives commencent à se profiler.
Tout le monde a déjà eu le loisir d’admirer ces champs de sacs en plastique qui prolifèrent dans le plus beau pays du monde. Certains sont même devenus célèbres, comme celui qui accueille de manière tristement originale les visiteurs sur la très touristique route de Zagora. Bonne nouvelle : cette catastrophe écologique commence enfin à |
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déclencher une prise de conscience chez nos concitoyens. Parmi eux, l’athlète Lahcen Ahansal, neuf fois vainqueur du Marathon des sables, qui a ainsi couru la dernière édition de sa course fétiche avec, sur son dossard, une inscription réclamant l'interdiction des sacs honnis. On le comprend : chaque année, le Maroc consomme près de 1,5 milliard de sacs en plastique. Et chacun de ces sacs mettra 300, voire 400 années, à atteindre le stade de la dégradation. Et encore, il ne s'agit pas d'une biodégradation totale (décomposition moléculaire par l'action de micro-organismes), mais seulement d’une dégradation mécanique, qui détruit le sac sans pour autant faire disparaître les molécules de plastique.
Avant cela, le fameux sac aura eu tout le temps de nuire à l'environnement. Il y a bien évidemment la pollution visuelle, que tout le monde peut constater au quotidien, mais aussi le danger que représentent ces sacs pour les animaux, qui risquent l’étouffement en les avalant, et les problèmes d’engorgement que provoque l’amoncellement de ces emballages dans les canalisations d’assainissement. Pire encore, l'incinération des sacs plastiques émet du dioxyde de carbone, qui est un gaz à effet de serre. Et pour compléter cette liste peu réjouissante de nuisances, il faut citer les problèmes d'hygiène occasionnés par l’utilisation des sacs pour stocker des aliments dans le réfrigérateur. Enfermés dans ces emballages hermétiques, les produits frais fermentent et développent des moisissures, qui constituent une menace pour la santé des consommateurs.
Face à de tels dangers, certains pays ont pris des mesures draconiennes. En Irlande, par exemple, les sacs en plastique sont tout simplement interdits. La démarche n’est pas une lubie des pays riches, où la sensibilité écologique est bien enracinée : le voisin algérien, sans aller jusqu'à l'interdiction, vient de réglementer la production de sacs en plastique noirs. Car ce sont ces derniers qui représentent le plus grand danger, non pas en raison de leur composition (à base de polyéthylène, dans tous les cas), mais parce qu'ils sont plus denses, plus lourds et par conséquent plus difficiles à éliminer.
Premier argument : la discrétion Paradoxalement, ce sont ces caractéristiques qui font leur succès auprès des consommateurs marocains. Il y a bien sûr les vendeurs d'alcool, qui les utilisent pour des raisons de discrétion. Mais ils ne sont pas les seuls, comme l'explique cet épicier dans un quartier populaire de Casablanca : “Lorsqu'on me demande du pain et une boîte de sardines, par exemple, on réclame un plastique blanc pour le pain, et un noir pour les sardines. C'est comme ça, il ne faut pas que les voisins sachent ce qu'il y a pour le dîner”.
La fameuse “mika kahla” remplit donc une véritable fonction sociale, qui rend très difficile toute action de sensibilisation directe auprès des consommateurs. Chose à laquelle s’est risqué le Parti des verts, qui a récemment lancé à Rabat une campagne visant à encourager le retour au bon vieux panier, la “gouffa” marocaine en osier. Las, le citoyen n'a pas vraiment suivi. Outre le fait que cette évolution est plutôt perçue comme une régression, le panier ne semble pas correspondre aux nouvelles habitudes de consommation : on fait ses emplettes au moment où l’on a envie de les faire, sans forcément les planifier et emporter avec soi un panier en quittant son domicile…
Dans ces conditions, comment s’y prendre pour faire disparaître les plastiques ? Pour Karim Tazi, industriel du plastique, la solution est relativement simple. “Il n’y a pas de secret : il faut rendre ces sacs plus chers, assure-t-il. C’est par la contrainte du prix que les consommateurs s’éduquent le plus sûrement !”. Aujourd'hui, chacun peut s'approvisionner au prix de 20 DH le kilo de sacs à Derb Omar, soit moins de 15 centimes le sac. Et pour le rendre plus cher, il n’y a qu’un moyen : en augmenter la taxation. Et c'est là que le bât blesse : la production de sacs en plastique est un secteur largement dominé par l'informel. Ainsi, dans la région de Aïn Harrouda, plusieurs dizaines d’unités travaillent au noir, produisant des sacs dans une totale illégalité. C’est d’autant plus aisé que les investissements sont minimes : le fabricant récupère des machines en fin de vie et procède à la transformation de rouleaux importés à bas prix de Chine. Sans charges sociales, ni impôts ou taxes d'aucune forme (IR, IS, TVA…), les profits sont aussi importants que les dégâts occasionnés à l'environnement. “C’est ce qui arrive lorsqu'on laisse un pan entier de l'économie basculer dans l'informel : on perd toute forme de contrôle et tout levier d'action”, déplore Karim Tazi.
Des sacs nouvelle génération La bataille serait-elle perdue d’avance ? Pas vraiment. La montée en puissance de la grande distribution offre quelques perspectives d’action. À titre d’exemple, l’hypermarché Marjane Californie, à Casablanca, et celui de Hay Riyad, à Rabat, distribuent à eux seuls la bagatelle d’un million de sacs chaque jour. Et c’est au niveau de ces deux hypermarchés qu’une jeune entreprise slaouie, LNA Concept, a placé son produit : des sacs plastiques recyclables et biodégradables, qui se décomposent en trois mois à peine. Une caractéristique obtenue grâce à un procédé de fabrication innovant, importé de France, qui modifie la composition chimique du sac. Cette nouvelle génération de sacs se présente ainsi comme une alternative intéressante, d’autant que son prix de vente n’est pas plus élevé. Pour concurrencer le sac pollueur sur le terrain des tarifs, Amine Berrada, le patron de LNA Concept, a pensé à compenser le différentiel des coûts de production en commercialisant des espaces publicitaires sur ses sacs. L’initiative a obtenu la bénédiction des pouvoirs publics, ainsi que le parrainage de l’association Afak, qui compte en profiter pour sensibiliser les utilisateurs. “J’ai mis plus de deux ans à étudier le projet et j’ai beaucoup voyagé pour voir ce qui se faisait ailleurs dans le monde, raconte Amine Berrada. Mais aujourd’hui, mes efforts sont récompensés, puisque mon produit a été très bien accueilli partout où je l’ai présenté”. Toutefois, le sac propre ne règle pas tous les problèmes. Son principal “défaut” ? Sa texture translucide, qui ne garantit guère la discrétion tant recherchée par les utilisateurs. Mais il a le mérite d’exister. Car les autres alternatives semblent pour le moins difficiles à imposer. Le sac en papier ? Trop coûteux et peu écologique, puisque sa fabrication nécessite beaucoup de bois et d’eau, deux ressources peu abondantes dans notre pays. Résultat : le sac en plastique classique a encore de beaux jours devant lui. Et le plus rageant, c’est qu’il est fabriqué en deux secondes et utilisé par le consommateur durant 20 minutes en moyenne. Tout le reste de sa vie, c'est-à-dire plusieurs siècles, n’est que pure nuisance. |