Des caribous au pays du couscous

Une journée chez les Hmadcha le moussem underground

Sur la route menant de Meknès à Sidi Ali Ben Hamdouch, bourgade juchée sur une montagne à une trentaine de kilomètres de la cité ismaëlienne, le soleil devance les fourgonnettes. Dans les véhicules bondés qui se doublent sur la petite route sinueuse, hommes et femmes, agglutinés les uns contre les autres, supportent la chaleur. Les
bonnes âmes entassées dans les voitures aux plaques marocaines, françaises ou hollandaises ont autre chose en tête que la sueur sur leur front. Ils sont en chemin pour sacrifier un bouc ou une poule noire, sanctifier leurs saints Ali et Aïcha au moussem le plus underground du Maroc, et fêter, à leur manière, la naissance du prophète.

Transe à l'ombre
Les barrages de gendarmes émaillent l'asphalte qui ouvre les portes de la commune de Mghrassyine, contrôlent les voitures, scrutent les cartes nationales. Et ont chaud, terriblement chaud. Certains, mouchoir à la main, pointent les pièces d'identité et les rendent sans un mot, économisant leur très chère salive pour dessécher leur gorge. Un, deux, trois barrages. Au quatrième, ce n'est plus la Gendarmerie royale qui arrête les véhicules, mais les gardiens du village, quémandant cinq dirhams contre un petit ticket de parking. Le village mystique et poussiéreux est là, gonflé de hauts-parleurs, de musique, de babioles, de grillades et, surtout, de rites douteux. Le patelin est en fête, en bruit, en mouvement.

Sur les côtés de l'allée principale, des cris stridents aux micros annoncent remèdes-miracles pour l'acné, la chute de cheveux, l'herpès, l'eczéma, le cancer, les dents blanches... Les bouchers de la semaine exhibent leur marchandise, autour de laquelle dansent des mouches frénétiques, qui se posent sur l'aubaine et vont narguer les nasaux des ânes, affrétés pour l'occasion, portant chevreaux et bidons d'eau dans les sacoches accrochées à leur flanc. A même le sol, des paillassons improvisés étalent lampes multicolores, colliers de pacotille, bibelots et babioles inutiles. Sidi Ali Ben Hamdouch ressemble à une foire en plein air, un souk surpeuplé. Un souk pas comme les autres, puisque à l'ombre des tentes campées dans la poussière, les commerçants somnolent ou jettent un regard évasif aux chapiteaux abritant musiciens et femmes en transe. Comme si de rien n'était.

Le royaume des offrandes
La foule s'approche, ne marche pas sur les tapis de la tente, s'arrête aux sangles plantées. Sur les genoux, deux femmes se dérouillent les cervicales et répondent aux rythmes joués par les Hmadcha, musiciens soufis. Les cheveux, dans un mouvement circulaire, suivent la percussion. Les femmes se relèvent, dansent de manière compulsive, convulsive, s'écroulent dans un dernier battement. Sous une autre tente, ce sont des hommes qui dansent, sautent très haut, retombent sur le sol et se relèvent comme s'ils marchaient sur du charbon. Deux jeunes hommes venus au moussem par curiosité, récitent le Coran dans leur barbe, priant pour le salut de ces âmes, qu'ils estiment perdues dans le “Shirk”, polythéisme.

Pourtant, ce moussem est bel et bien reconnu, annuel et officiel. Sur la route allant au mausolée du saint Ali Ben Hamdouch, un rassemblement bloque le passage. Place à la Hadra. Le rituel, mené par musiciens et instruments, accompagne homme ou femme en transe désirant offrir une “H’diya”, souvent un mouton ou autre ovidé, sacrifié en l'honneur de Sidi Ali Ben Hamdouch. Pour la baraka, pour se défaire d'un sort, pour passer une année tranquille. Celle qui fait l'offrande descend de chez elle, bijoux en or, takchita, pieds nus assombris de henné. Ses yeux sont révulsés, et elle avance, dans la rue, entourée de musiciens et de badauds, pendant qu'un gamin tire l'animal bientôt égorgé, ou juste remplacé, pour être revendu plus tard à une autre personne en mal de sacrifice.

Sidi Ali et Lalla Aïcha
Dans le mausolée de Sidi Ali, il faut enlever ses chaussures. Certains tournent autour de ce qui est censé rester de son tombeau, comme à la Mecque. Sans pour autant se soucier du sens. D'autres sont assis et se balancent. Une jeune fille est allongée au pied du tombeau et hurle comme un putois possédé. Elle est secouée de spasmes, convulse, se calme et reprend, pendant qu'une femme lui tient les épaules. Elle finit, remet ses chaussures, et se rend dans la grotte de Lalla Aïcha, sainte des femmes célibataires, désespérées, superstitieuses. Devant elle, deux femmes se poussent violemment, s'insultent, en viennent presque aux mains. La tempête féminine se calme quand la callipyge quinquagénaire s'arrête pour acheter des bougies et un dirham de thym, qu'elle jettera par petites poignées en priant Lalla Aïcha de trouver un mari pour sa fille. Sur les étals, caméléons séchés et autres spécimens hybrides…

Etrange spectacle dans la grotte de la Sainte Aïcha. De l'eau glacée coule entre les roches, et les femmes, bougies à la main, y font trempette. Lorsqu'elles ressortent, culotte, soutien-gorge ou autre sous-vêtement à la main, elles le jettent en arrière, comme une jeune épouse jetterait son bouquet de mariée. Le slip vole s'accrocher au grillage, près des autres dessous offerts à l'esprit saint sans corps. Plus tard, après le moussem, un vendeur malin viendra les décrocher, pour les vendre sur les petits marchés. Sans que Lalla Aïcha n'intervienne.

Au bonheur des gendarmes
Pendant la journée, pas de trace d'arrestation, d'homosexuels en caftan, d'hommes aux ongles vernis. Si une vingtaine d'entre eux ont été embarqués lors du moussem 2008, ils seraient plus d'une trentaine à avoir été arrêtés cette année : homos, voleurs, prostituées. Avant que le soleil ne se couche, les gendarmes guettent, s'en prennent parfois à des petites gens qui chahutent, mais attendent le soir pour mettre le grappin sur femmes ou hommes qui font le tapin, près des Hmadcha et autres communautés soufies qui mangent du verre, se mutilent au nom d'un saint ou de l'autre, exorcisent, se cisèlent la peau, maraboutent et psalmodient. Pour un rachat spirituel, pas forcément musulman.

TELQUEL


21/04/2009
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